Le pari risqué du prochain budget européen
Cet article est paru dans le magazine de novembre. A la veille du prochain conseil européen, qui se penchera notamment sur la proposition de la Commission sur le budget, nous republions cet article, initialement accessible uniquement pour nos membres.
Dans son futur budget pluriannuel, l'Europe s'apprête à bouleverser le financement de la protection de la nature, transférant sa responsabilité vers les États-membres et le secteur privé. Cette réforme soulève de nombreuses interrogations.
Début juillet, l'équipe politique et plaidoyer de Natagora jonglait entre de nombreux dossiers nature : pesticides, friches urbaines, loi sur la restauration... Quand soudain, entre deux réunions, arrivent par email une série de documents de plus d'une centaine de pages en anglais, bourrées d'acronymes. Officiellement attendue le 16 juillet, les grandes lignes du futur budget européen – le cadre financier pluriannuel, circule déjà en coulisses. Ce qui se profile est lourd de conséquences : l’Europe semble vouloir se désengager du financement public direct de la nature, en transférant la responsabilité de l'allocation opérationnelle des fonds aux États. Chez nous, tout le monde est sur le pont, en particulier BirdLife, notre fédération au niveau européen, qui est en première ligne.
La proposition qui est finalement publiée est présentée comme plus “stratégique” et “flexible” par les États membres. Le nouveau budget regrouperait les anciens programmes (comme la Politique Agricole Commune, les programmes Cohésion, ou LIFE) en deux blocs : les plans de partenariat nationaux et régionaux, d’une part et un Fonds pour la compétitivité, de l’autre. Ensemble, ils pèseraient environ 75 % du budget européen.
Dans le premier bloc, les plans nationaux et régionaux, chaque État membre définira son propre programme. Si la Commission européenne évoque bien la nature comme priorité, aucune ligne budgétaire n'est explicitement réservée à la biodiversité. Autrement dit, tout dépendra de la bonne volonté des gouvernements de l’intégrer dans leurs plans. Ces plans absorberaient les anciens volets "nature" de la Politique Agricole Commune, qui voit par ailleurs son budget réduit.
Le programme LIFE, programme-phare pour l’environnement ayant financé de nombreux projets de restauration en Belgique, est maintenant fondu dans le "pilier transition verte" du deuxième bloc, le Fonds pour la compétitivité. Il s’y retrouve aux côtés de l'énergie, de l'industrie ou de l'économie circulaire. Résultat : les projets pour la nature devront désormais se battre pour obtenir des financements, en concurrence directe avec d'autres secteurs.
Alors que les débats s’enchaînent au sein des parlements, que les experts alertent et que les citoyens se mobilisent, une autre bataille décisive se joue : celle des arbitrages budgétaires. Dans les mois à venir, les négociations européennes vont s’intensifier. L’histoire qui s’écrit aujourd’hui entre les couloirs de Bruxelles et les hémicycles nationaux et régionaux déterminera ce que nous pourrons encore protéger demain.
Pour nous, l’Europe doit rester un acteur majeur de la protection de la nature, pas se décharger de ses responsabilités. Ce qui est en jeu, ce sont les moyens concrets d’agir pour préserver les écosystèmes qui ne connaissent pas de frontières, soutenir ceux qui les protègent, et garantir un avenir vivable à leurs habitants. La nature ne connait pas de frontières !