Etats Généraux des pesticides : un tournant à saisir d'urgence

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Après un été rythmé par les auditions parlementaires sur les pesticides s’ouvraient le 31 octobre les “États Généraux de la Protection des Cultures” avec une séance inaugurale. Pour Natagora, la réduction des pesticides est un enjeu central, et nous avons suivi cet évènement avec attention. Ce premier article, rédigé par notre Responsable Politique Agriculture Gaëtan Seny, pose les bases d’une série de quatre analyses consacrées à cette initiative. 

Le 31 octobre dernier, la Ministre de l’Agriculture, Anne-Catherine Dalcq, inaugurait en grandes pompes ses “États Généraux de la Protection des Cultures”. Annoncés par la Ministre en avril dernier, ces états généraux consistent en une série de sessions de travail organisées avec les différentes filières agricoles, pour identifier les leviers permettant de réduire l’usage de pesticides.  Une volonté que la Ministre a réitérée lors de l’inauguration, voulant faire de cet événement un véritable “tournant”, et non une énième table ronde, “avec la ferme volonté de diminuer l’utilisation des produits phytosanitaires”.

Après le discours de la Ministre, la séance prévoyait un rapport sur les auditions consacrées aux pesticides organisées de juin à septembre au Parlement wallon (auxquelles Natagora a contribué). Ces auditions, qui ont réuni scientifiques, et acteurs du secteur, ont mis sur la table un ensemble d’analyses et de constats essentiels pour démarrer les travaux. C’est la Députée Véronique Durenne qui s’est chargée, en sa qualité de rapporteuse, de présenter une synthèse.

Une rapporteuse qui minimise l’urgence

D’emblée, la Rapporteuse a insisté sur son devoir de neutralité, précisant que “les propos ne (lui) appartiennent pas. Ils se veulent être vraiment le reflet des exposés entendus au sein du Parlement”. Mais la neutralité doit porter autant sur ce qui est rapporté que sur ce qui est omis. Or, un élément central disparaît de la synthèse : l’urgence clairement exprimée par l’ensemble des scientifiques, médecins, ONG et certains syndicats agricoles lors des auditions.  

Madame Durenne a certes rappelé que « pour les scientifiques interrogés sur le sujet, il n'y a plus de doute possible sur le lien de causalité entre l'usage des produits phytosanitaires et certaines maladies ». Mais en ajoutant que « tous les acteurs (...) reconnaissent la nécessité d'une transition progressive », la Députée passe sous silence l’urgence absolue mise en évidence par nombre d’intervenants.

Une minimisation dans le sillage de l’audition Bernard

Le consensus sur l'urgence d'agir a donc été minoré. Cette mise à distance de l’urgence rappelle l’audition problématique au Parlement l’été dernier du Professeur émérite Alfred Bernard, largement critiquée depuis.

Lors de cette intervention, le Professeur avait, lui aussi, minimisé en balayant du revers de la main les alertes des ONG et de la Société Scientifique de Médecine Générale (SSMG), qu’il qualifiait de “médecins de campagne”, et des autres scientifiques qu’il semble royalement mépriser. 

Au-delà de l’arrogance, le Professeur s’était distingué par un manque de rigueur scientifique auquel s’ajoutaient des conflits d’intérêts. Il a lui reconnait être rémunéré par des producteurs de fruits pour ses avis minimisant l’impact des pesticides sur les riverains sur la base de “ses propres calculs”. Notons qu’il n’a jamais publié d’article scientifique sur les pesticides et n’a pas d’expertise en agriculture.

Ces propos avaient été dénoncés par de nombreux acteurs, dont la SSMG, dans un courrier étayé adressé aux députés wallons. Après avoir questionné le Professeur Bernard sur les accusations dudit courrier, la RTBF les a largement confirmées dans un exercice de fact-checking fouillé. 

La Députée Durenne, de son côté, s’était d’abord réjouie au terme de l’intervention du Professeur au Parlement. Lorsque les conflits d’intérêt du Professeur Bernard ont été diffusés dans la presse, la Députée Durenne avait finalement pris ses distances, ce que nous saluons. Nous pensions ainsi en avoir fini avec le Professeur Bernard; et que cet épisode aurait fait passer à quiconque l’envie de convoquer ses opinions sans fondements à l’avenir.

Un dérapage dans le tournant

Pourtant, un mois plus tard, la Députée oriente le cadre du débat vers une approche gradualiste incompatible avec la gravité de la situation. On peut comprendre le souci de ne pas braquer certains acteurs à l’entame des travaux. Mais la facilitation du dialogue ne peut se faire au prix d’une dilution du consensus scientifique. 

Pour que les états généraux de la protection des cultures deviennent ce “tournant” voulu par la Ministre, il faut commencer par admettre qu’il y a urgence ; que la santé humaine et environnementale ne peut plus constituer la variable d’ajustement. La volonté de la Ministre d’aboutir à “une stratégie cohérente, applicable effectivement et rapidement sur le terrain, dans le respect des contraintes et des réalités de chacun, mais avec la ferme volonté de diminuer l'utilisation des produits phytosanitaires” et la fin des travaux prévue pour mars 2026 sont des signaux encourageants. C’est maintenant au tour des acteurs des principales filières wallonnes de transformer l’essai. Gageons que la Ministre saura insuffler cette urgence aux différents groupes de travail.

Texte : Gaëtan Seny