Position de Natagora sur les éoliennes

Position adoptée en Juin 2010 et mise à jour en 2013

Natagora est globalement favorable au recours à l’énergie éolienne dans la mesure où les implantations répondent strictement à deux conditions.

La première est que l’énergie éolienne réduise effectivement l’utilisation d'énergies plus polluantes, contribuant dès lors, en tant qu’énergie renouvelable, à la réduction des gaz à effet de serre et la lutte contre les changements climatiques. La seconde est que l’implantation d’éoliennes se fasse dans le respect du milieu sans y produire d’effet dommageable, en particulier pour les riverains, pour la biodiversité et le paysage. La présente note constitue la position actuelle de Natagora et se focalise essentiellement sur les interactions Eoliennes / Biodiversité.

Planifier le développement

Le développement de parcs éoliens n’est globalement pas incompatible avec la conservation de la faune et, plus généralement, de la nature en Wallonie. Natagora estime cependant que celui-ci ne devrait en aucun cas se faire de manière anarchique comme c’est le cas actuellement. Une planification des zones pouvant accueillir les éoliennes en Région wallonne doit être établie, tenant compte des critères techniques, environnementaux et paysagers. Cette planification permettra d’élaborer un cadre de développement intégré tout en réduisant les difficultés et retards dans le développement ultérieur des projets.

Concentrer les installations

Le cadre de référence actuel pour l’implantation d’éoliennes en Région wallonne consacre le principe de regroupement des installations. Pour Natagora, ce principe paraît effectivement tout à fait essentiel et doit rester d’actualité. Il convient d’éviter la dispersion d’éoliennes individuelles et de privilégier les implantations dans les secteurs déjà largement couverts par un tissu industriel et des infrastructures. En particulier, les échangeurs autoroutiers, les bords des grands axes routiers et des voies de chemins de fer ainsi que les zonings industriels, dont l’impact sur le morcellement des habitats naturels et le paysage est déjà important, devraient être des localisations privilégiées d’implantation. 
De même, en zone agricole, les plaines de grandes cultures semblent également propices, même s’il est néanmoins souhaitable d'épargner certains grands plateaux agricoles qui composent un  paysage typique (open field) en Wallonie et accueillent certaines espèces patrimoniales spécifiquement liées à ces habitats très ouverts (busards et certains oiseaux migrateurs).

Zonage du plan de secteur 

L’implantation de parcs éoliens est actuellement encouragée au sein de différentes zones du plan de secteur : les zones de services publics et d’équipements communautaires, les zones d’activité économique mixte et industrielle, les zones agricoles, d’extraction (pendant la durée d’exploitation), de loisirs, d’habitat et d’habitat à caractère rural, ainsi que les zones d’aménagement communal concerté (anciennes zones d’aménagement différé).
Natagora est résolument opposée à l’extension des possibilités d’implantation aux zones forestières. Ces dernières constituent en effet souvent les derniers grands espaces naturels d'un seul tenant. Les défrichements liés à l’implantation d’éoliennes en forêt et à leur accès contribueraient à morceler ces milieux bien plus riches biologiquement que des zones cultivées, créant des perturbations supplémentaires pour la faune et la flore sauvages. Rappelons que l’avifaune est particulièrement abondante en milieux forestiers (y compris dans certaines forêts résineuses) et que les migrations s’appuient souvent sur les massifs forestiers qui servent de repères. De même, les forêts sont l’habitat de certaines espèces de chiroptères pour lesquelles les lisières forestières constituent des lieux de chasse privilégiés en raison de l’abondance en insectes.

Sites Natura 2000 et autres périmètres sensibles

Un récent rapport de l’Agence européenne pour l’Environnement  sur le potentiel éolien en Europe montre que le fait d’exclure les éoliennes de l’ensemble du réseau Natura 2000 et des autres zones protégées pour la protection de la nature ne fait pas obstacle au développement éolien. Le potentiel restant disponible en excluant ces zones étant de 3 à 7 fois supérieur à la demande estimée nécessaire en 2020 et en 2030. 
Pour Natagora, les zones particulières pour lesquelles l’installation d’éoliennes est vivement déconseillée par le cadre de référence actuel doivent dès lors être conservées, en particulier les périmètres de protection visés par la législation sur la protection de la nature (sites Natura 2000, réserves naturelles, zones humides d’intérêt biologique…) et leurs abords immédiats, les périmètres de liaison écologique ainsi que les périmètres et points de vue d’intérêt paysagers. 

Zones d’importance particulière pour les oiseaux 

En ce qui concerne l’avifaune, si la Wallonie n'est pas une zone à forte présence d'espèces à risque (grands planeurs comme les vautours, couloirs migratoires de cigognes, etc.), il existe néanmoins un certain nombre de cas problématiques au sujet desquels il convient d'être attentif, notamment pour ce qui est de l'aire de répartition des deux espèces de milans (milans royal et noir). Rappelons que parmi les espèces d’oiseaux nichant dans notre pays, le milan royal est l’espèce la plus menacée au niveau mondial. En Allemagne, près de 16 % des cadavres d'oiseaux retrouvés sous les éoliennes sont des milans royaux, ce chiffre atteint 43 % si l’on ne prend en compte que les rapaces . Il s’agit donc clairement d’une des espèces la plus affectée par ce type d'installations.

Une autre situation problématique est le cas de sites de passage localement intense, tel les zones de liaison séparant deux zones humides par exemple, les couloirs d'arrivée vers des dortoirs communautaires ou encore les zones de passages migratoires.

Face à ce constat, Natagora plaide pour l’établissement d’une carte régionale de sensibilité, identifiant, sur base de critères transparents, les zones où le développement de parcs éoliens parait présenter un risque faible, moyen ou élevé pour l’avifaune. Signalons que l’établissement de cartes de sensibilité est une recommandation de la Commission Européenne (voir notamment référence ci-dessous ). Cette démarche devrait par ailleurs contribuer à éviter de possibles conflits futurs avec les dispositions de la Directive Oiseaux (art 5) et de la Directive Habitats (art 12 & 13) en ce qui concerne la nécessité de protéger les espèces d'importance communautaire dans toute leur aire de répartition naturelle au sein de l'Union européenne (donc aussi hors sites Natura 2000).

En 2008, sur base de l’expertise de son pôle ornithologique Aves, Natagora avait déjà diffusé une première carte de zones d’exclusion, basée essentiellement sur les connaissances générales de la répartition des oiseaux accumulées par les experts de l’association. Depuis lors, les connaissances scientifiques sur la sensibilité des espèces aux éoliennes se sont développées (voir tableau en fin de document). De plus, les données disponibles concernant la répartition des oiseaux se sont nettement affinées, notamment grâce à la finalisation de l’Atlas des oiseaux nicheurs de Wallonie . C’est pourquoi Aves-Natagora travaille maintenant au développement d’une carte de sensibilité actualisée à l’échelle régionale. Dans l’attente de cette nouvelle carte, la première carte de zones d’exclusion reste évidemment parfaitement valable.

Il va de soi que la définition d’une telle carte de sensibilité ne dispense en rien de la nécessité de réaliser une étude d’incidences spécifique et approfondie à l’échelle de chaque projet. En effet, l’avifaune est une composante éminemment dynamique des écosystèmes et elle ne peut être appréhendée complètement ni définitivement par une simple cartographie. Néanmoins, celle-ci faciliterait grandement l’approche de la question par les bureaux d’étude agréés. Enfin, cette carte devrait être évolutive afin d’intégrer la progression constante des connaissances.

Impacts des éoliennes sur les chauves-souris 

L’impact des éoliennes sur les chauves-souris est désormais bien documenté, mais plus difficile à appréhender que celui sur les oiseaux, alors que certains éléments tendent à montrer qu’il pourrait être beaucoup plus important. A l'instar des oiseaux, l'impact des parcs éoliens sur les chauves-souris est très variable. Il dépend du site, de son utilisation par la faune chiroptérologique et de la sensibilité des espèces présentes. Il dépend également du type d'éoliennes, de leur organisation, de leur fonctionnement et des conditions météorologiques. Les principaux impacts avérés sont de plusieurs types : mortalité par collisions avec les pales en mouvement, perte de terrains de chasse et de corridors de déplacements, mais également une mortalité due à la dépressurisation à l’approche des installations. Concernant ce dernier point, certaines études montrent en effet que la dépressurisation produite par la rotation des pales peut être responsable, dans certaines situations, d'un grand nombre de mortalités par hémorragie des poumons. S’ajoute encore à cela l’effet attractif des éoliennes pour les chauves-souris du à la production de lumière et de chaleur attirant les insectes.

Les données actuelles sur la répartition des espèces de chauves-souris étant sensiblement plus lacunaires que celles existant pour les oiseaux, l’établissement d’une carte de sensibilité à l’échelle de la Région wallonne parait plus difficilement envisageable dans l’immédiat mais doit constituer un objectif à moyen terme. A cette fin, il s’avère souhaitable d’intensifier les études en Région wallonne, non seulement sur la répartition de ces espèces mais aussi sur leurs comportements qui influencent directement la sensibilité aux éoliennes. Ce constat ne doit cependant  pas faire obstacle à la valorisation optimale, lors des études d‘incidences, des données déjà disponibles. De plus, il justifie que les bureaux chargés de ces études intensifient la prospection dans les zones de projets.

L’activité des chauves-souris étant très variable selon les conditions climatiques, la période de l’année et l’heure de la journée, il semble que la gestion de la problématique « Eoliennes / Chauves-souris » pourrait être également abordée utilement en envisageant l’arrêt automatique des éoliennes à certaines périodes particulièrement critiques (2h après le coucher du soleil et juste avant le lever, en périodes chaudes et peu venteuses, c'est-à-dire au moment où les insectes sont particulièrement abondants). Cette solution, déjà appliquée par certains opérateurs éoliens à l’étranger, doit être testée et validée pour pouvoir être appliquée aux cas identifiés comme problématiques en Région wallonne.

Sur les études d’incidences

Natagora insiste pour que les études d'incidences sur l’environnement consacrent à l’étude des impacts sur la biodiversité un effort au moins comparable à celui dédié aux autres compartiments de l’environnement (paysage ou bruit par exemple). Des progrès ont été faits ces dernières années, mais les principes suivants pourraient encore sensiblement améliorer la qualité des études : 

  • prévoir des études préalables d’une durée suffisamment longue (une année complète) pour appréhender correctement la biodiversité d’un site ;
  • lors de l’analyse des projets sur les oiseaux nicheurs, évaluer systématiquement les impacts sur base des espèces en présence, mais également en fonction des habitats potentiels situés dans un périmètre de 1.000 m autour de chaque éolienne ; 
  • pour les oiseaux et l’analyse de leurs déplacements, se référer aux études qui sont exigées en France, où dans certains cas, les bureaux d'études utilisent des techniques plus poussées que la simple observation (radars mobiles) pour identifier les couloirs migratoires   ;
  • pour les chauves-souris, s’inspirer des lignes directrices établies par Eurobats (Consortium européen pour la protection des chauves-souris) pour définir un canevas minimum à appliquer pour évaluer correctement l’impact des projets

Suivi post installations

En terme de suivi, la mise en place rapide d’un suivi standardisé des collisions et des comportements de la faune au niveau des parcs éoliens existants est vraiment une nécessité. Ce suivi permettra en effet d’objectiver les impacts sur le territoire wallon et d’ajuster les évaluations environnementales des projets futurs.

Compensations

Enfin, en ce qui concerne les compensations envisagées, Natagora souhaite rappeler qu’il est très malsain de voir actuellement des compensations négociées en amont de certains projets et donc des études d’incidences les concernant.

Pour l’association,  les cinq critères suivants devraient être conjointement et rencontrés  pour qu’une proposition de compensation soit admissible :

  • Concerner la ou les espèce(s) et/ou habitat(s) pour lequel l’impact a été identifié ;
  • Etre d’une amplitude telle que le résultat attendu contrebalancera avec certitude les dégâts occasionnés et ce, compte tenu de la rareté et la vulnérabilité des populations, de la qualité de la zone endommagée et du délai nécessaire au développement du nouveau biotope ;
  • Etre accompagnée d’un cahier des charges clair et précis ;
  • Etre opérationnelle au moment où l’impact négatif devient effectif, donc avant l’implantation des éoliennes ;
  • Respecter dans la mesure du possible un principe de proximité.

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Mise à jour de 2013

Éolien : Natagora veille aux dérives !

Le 30 octobre s'est clôturée l’enquête publique relative au projet de carte de lots d’implantation d’éoliennes sur le territoire wallon. Faisant suite à une série de positions et d’interpellations, Natagora a fait connaître ses réserves et propositions d’amélioration.

Natagora soutient depuis plusieurs années une politique visant à diminuer l’utilisation des énergies fossiles au profit d’énergies renouvelables. Toutefois, elle tient à ce que cela ne se fasse pas au détriment de la biodiversité.

2010 : une situation anarchique

Dès 2010, face à l’explosion du marché éolien et aux dérives qui s’annoncent, Natagora adopte une position publique claire par laquelle elle expose plusieurs pistes permettant de concilier production d’énergie éolienne et respect de la biodiversité dont :

une planification claire permettant d’éviter des situations anarchiques une exclusion des zones forestières et de Natura 2000 l’importance à accorder aux oiseaux et aux chauves-souris Se basant sur cette position, Natagora s’implique alors dans divers dossiers mettant en danger biodiversité ou avifaune tels que les éoliennes de la Plaine de Boneffe.

Début 2013 : un cadre nécessaire 

Dans sa stratégie pour encadrer l’implantation d’éoliennes, le Gouvernement wallon annonce trois outils : un cadre décrétal, une cartographie positive de zones de développement éolien en « lots » et un cadre de référence actualisé pour la période transitoire. S’en suit une série de consultations et discussions auxquelles participe Natagora. Début 2013, le cadre de référence est adopté, actualisant des critères de 2002 dépassés. De nombreuses avancées sont à souligner, notamment la volonté du Gouvernement d’améliorer la situation et la mise à l’abri de certaines zones de conservation de la faune. Cependant, Natagora regrette déjà un certain flou méthodologique et dénonce deux graves manquements :

  • Le maintien de la possibilité d’implantation d’éoliennes en forêt, zone particulièrement sensible pour la biodiversité.
  • La pression engendrée sur la quasi-totalité des plateaux agricoles wallons d’intérêt ornithologique.

Suite aux remarques envoyées par Natagora, divers éléments sont davantage pris en compte pour la traduction du cadre de référence, notamment les cavités abritant des rassemblements massifs de chauves-souris, la structure écologique principale, les plans d’eaux d’intérêt écologique et les sites où les oiseaux des plateaux agricoles sont particulièrement exposés.

Fin 2013 : une carte à bien orienter 

Après adoption du cadre, une carte reprenant les « lots » qui pourraient servir d’implantation est soumise à enquête publique. Tout comme pour le cadre de référence, Natagora félicite l’effort de structuration du marché éolien et la recherche d’alternatives aux énergies fossiles. Mais, à nouveau, elle ne peut s’empêcher de souligner plusieurs défauts dans l’élaboration de cette carte :

  • Les « lots » seront attribués par un décret inexistant à l’heure actuelle. La question se pose donc de l’utilité réelle et du statut de cette carte.
  • Le dossier renseigne Natagora comme source pour les cartes relatives aux oiseaux et chauves-souris.
    Or, si Natagora a bien fourni des données brutes, elle n’est pas responsable de l’interprétation cartographique qui en a été faite. Se pose donc la question de la pertinence de la carte!
  • Le Gouvernement wallon persiste à vouloir installer des éoliennes en zone forestière.

En parallèle à ces imperfections, Natagora propose plusieurs pistes d’amélioration :

  • Placer en zone d’exclusion intégrale plusieurs parcelles particulièrement sensibles pour des espèces telles que le milan royal.
  • Épargner des noyaux de chaque grand plateau agricole qui accueille en Wallonie des espèces patrimoniales spécifiquement liées à ces habitats très ouverts (Busards, Vanneaux et Pluviers).
  • Porter une attention toute particulière aux chauves-souris en différenciant les espèces en fonction de leur sensibilité à l’éolien.

La volonté du Gouvernement de stopper le mécanisme du « premier arrivé, premier servi » en matière d’implantation d’éoliennes est tout à fait louable. En ce sens, la carte doit être un outil permettant de rassurer l’ensemble des acteurs du développement éolien. Mais l’objectif n’est pas encore atteint et mérite quelques rectificatifs. Natagora demande de doter le développement éolien d’un réel outil cartographique performant et prenant bien en compte l’impact sur la biodiversité.

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