Position de Natagora sur les compensation des impacts sur les milieux naturels et les espèces en Région wallonne

Adoptée par le Conseil d’Administration le 14/12/2009

Contexte

Le développement socio-économique de la Région wallonne engendre de nombreuses atteintes aux espèces sauvages, que ce soit par destruction, perturbation ou fragmentation des habitats.

Divers mécanismes de compensation des impacts négatifs de plans ou projets sont prévus par la Loi sur la Conservation de la Nature et le CWATUP. Ces mécanismes ne définissent toutefois pas la notion de compensation et n’en précisent pas les caractéristiques essentielles.

Dès lors, leur application pose de nombreux problèmes. D’une part, sur le fond, l’existence même du concept de compensation laisse croire que les écosystèmes sont restaurables et remplaçables à merci et tend à conforter la perception d’un « droit à détruire ». D’autre part, dans la pratique, l’absence de cadre normatif laisse libre cours à la conception de projets n’offrant guère de garanties. Enfin, il faut bien reconnaître que même lorsque les compensations ont été un tant soit peu réfléchies, leur mise en œuvre concrète respecte rarement les conditions définies par l’autorité.

En tant qu’association de protection de la nature, Natagora est régulièrement sollicitée sur la pertinence de compensations proposées. Le présent document fixe les lignes générales à suivre lorsque l’association prend position en la matière ainsi que les balises à respecter lors du traitement ou de la mise en œuvre de ces demandes d’avis.

Des compensations… pour quels types de projets ?

Il est important de rappeler en préalable que le principe de compensation ne peut être mis en oeuvre que dans le respect des lois existantes. Ainsi, avant de décider d’entrer dans le système des compensations, le cadre légal existant devra être respecté.
Les premières questions à se poser sont les suivantes :

  • Le projet porte-t-il atteinte à un site protégé (Natura 2000, réserves naturelles,..) ?
  • Le projet porte-il atteinte à une/des espèces protégées ?
  • S’agit-il d’un projet d’intérêt public majeur ?
  • Existe-t-il des alternatives moins dommageables ?

Pour Natagora, si le projet porte une atteinte significative à un site protégé ou à une/des espèces protégées, deux conditions cumulatives doivent être respectées avant d’envisager toute compensation :

  • Le projet doit justifier d’un intérêt public majeur.
  • Les solutions alternatives doivent être systématiquement examinées.

Si l’intérêt public majeur n’est pas rencontré ou si des solutions alternatives moins dommageables pour la biodiversité existent, l’association se positionne en défaveur du projet et ne se prononce dès lors pas sur d’éventuelles compensations. Si le projet répond aux caractéristiques précédentes (projet portant atteinte significative à un site / espèce protégés mais jugé d’intérêt général, aucune alternative satisfaisante n’ayant été identifiée) OU s’il s’agit d’un projet sortant de ce cadre (projet ne portant pas d’atteinte grave à un site / espèce protégés), la grille d’analyse suivante est utilisée pour déterminer la position de l’association :

  • Finalité du projet : s’inscrit-il dans une politique de développement durable ?
  • Rareté des espèces et habitats concernés (liste rouge, catégorie IUCN)
  • Statut au sein du réseau écologique : la zone concernée est-elle une zone centrale ou de liaison ? Sa dégradation aura-t-elle des impacts en cascade à l’échelle du réseau écologique ?
  • Restaurabilité des habitats concernés : est-il réaliste techniquement de restaurer des surfaces ailleurs ?
  • Caractère cumulatif : les incidences du projet s’additionnent-elles à celles d’autres projets, engendrant ainsi un impact global problématique ?

Si sur base de ces critères (aucun d’entre eux n’étant exclusif), l’analyse du projet est positive ou neutre, l’association accepte le principe de compensations. Dans le cas contraire (analyse négative), l’association se prononce contre le projet.

À quel moment de la procédure, l’association discute-t-elle d’éventuelles compensations ?

Natagora estime de son devoir de fournir les données en sa possession afin de garantir une prise en compte maximale des espèces et habitats présents dans le cadre de l’évaluation environnementale des projets (études d’incidences par ex). Notre association veille donc à répondre au mieux aux sollicitations dont elle fait l’objet à ce sujet.

Par contre, l’association refuse toute prise de position sur les compensations avant le dépôt officiel de la demande de permis. Natagora conserve ainsi toute son indépendance : cette position lui permet de réagir librement lors des enquêtes publiques
et dans le cadre des commissions régionales d’avis où siègent ses mandataires.

Caractéristiques minimales des compensations

Sur la base de l’interprétation réalisée par la Commission européenne, Natagora estime que les compensations doivent :

  • Concerner l’espèce et/ou l’habitat pour lequel l’impact a été identifié ;
  • Viser le maintien/la restauration d’un état de conservation comparable (à l’échelle de la Région wallonne et éventuellement des populations animales et végétales concernées) ;
  • Respecter dans la mesure du possible le principe de proximité ;
  • Etre d’une amplitude telle que le résultat attendu contrebalancera avec certitude les dégâts occasionnés et ce, compte tenu de la rareté et la vulnérabilité des populations, de la qualité de la zone endommagée et du délai nécessaire au développement du nouveau biotope. 
    En toute hypothèse, l’amplitude de la compensation devra être supérieure à celle des dommages, considérant qu’une atteinte à un biotope n’est jamais assimilable à une simple perte de surface mais qu’elle induit également un dérangement de populations et une perte de qualité des milieux.
  • Etre opérationnelles au moment où l’impact négatif est effectif.

Natagora bénéficiaire de compensations ?

Afin de garantir son intégrité, l’association estime qu’il n’est pas envisageable d’être bénéficiaire de compensations (en argent ou en propriété) pour son compte propre. Les seules exceptions envisagées à cette règle serait le cas de projet(s) causant un préjudice direct à une ou à plusieurs des réserves naturelles dont l’association est propriétaire ou gestionnaire. Dans ce cas, l’association pourrait en exiger réparation.

Processus de décision interne à l’association

Le département de Politique générale de l’association est chargé de la mise en œuvre des principes énoncés ci-avant.

Dans le cadre de l’analyse des dossiers (critères repris au point I et caractéristiques des compensations décrites au point III), le département consulte systématiquement :

  • le président et le secrétaire de la Régionale concernée
  • le cas échéant, le président de la Commission de gestion et le conservateur de la réserve concernée
  • les collègues les plus concernés des départements « Etudes » et « Conservation »
  • le/les membres ou volontaires de l’association qui se seraient manifestés antérieurement au sujet du dossier

Le Conseil d’Administration de Natagora est saisi :

  • pour valider le caractère d’intérêt public majeur d’un projet présenté comme tel.
  • pour tout projet concernant directement Natagora ou ses associations partenaires (ex : cas de projet portant atteinte à une réserve naturelle gérée par l’association) ;
  • pour tout projet faisant l’objet de positions différentes de la part des collaborateurs de l’association (par exemple positions divergentes entre le département de Politique générale et la Régionale ou commission de gestion concernée) ;
  • pour toute proposition d’actions à entamer en justice, notamment dans le cas de constats de prise de mesures de compensation inappropriées ou de non application de mesures de compensation décidées.

Le Conseil d’Administration sera tenu informé régulièrement des positions prises.

Revendication générale vis-à-vis des pouvoirs publics

Au vu des disparités importantes constatées, selon les projets, les bureaux d’étude, et les autorités, Natagora revendique la mise en place d’un cadre légal détaillé opérationnel assorti de normes permettant aux uns et aux autres de travailler sur une base commune et d’éviter ainsi les incohérences et les disparités. Divers exemples existent dans les pays voisins, en Allemagne notamment. Par ailleurs, afin de garantir une mise en œuvre réelle des compensations, Natagora demande la mise en place d’un système de cautionnement bancaire à l’image de ce qui existe, par exemple, pour les centres d’enfouissement techniques et les carrières. 

Télécharger la version pdf