La planète est-elle surpeuplée ?

Texte : Benoît Vignet | Photos : Michael Wolf/Reporters/Laif

L’argument est connu et répété à l’envi par certains auteurs : la terre est surpeuplée. 
De là découleraient tous les problèmes environnementaux que nous connaissons aujourd’hui. Un faux problème pour d’autres, qui préfèrent dénoncer l’inégalité des modes de vie et l’aspect insoutenable de notre modèle actuel de développement.

«Toutes les menaces qui pèsent sur l'avenir résultent d'une cause : nous sommes trop nombreux par rapport aux ressources de la planète », écrit en 2013 le prix Nobel de médecine Christian de Duve. Une idée répandue et partagée par d’autres auteurs. Parmi eux, l’écologue Michel Tarrier (2008), qui, radical, observe que « faire des enfants nuit gravement à la planète. Homo sapiens est la pire espèce invasive. »

Claude Lévi-Strauss faisait le même constat en 2005, en y reliant l’effondrement de la biodiversité : « [La surpopulation mondiale] aura exercé ses ravages sur la diversité non pas seulement culturelle mais aussi biologique en faisant disparaître quantité d'espèces animales et végétales. » Un effondrement déjà évoqué, dans des termes identiques, par l’ornithologue Jean Dorst (1965) :

« L’excédent de population ne risque pas seulement de compromettre le sort de la flore et de la faune sauvages (la biodiversité), il menace bien plus la survie de l’humanité tout entière, la civilisation et la dignité même de l’homme. »

Une stabilisation vers 2060-2070

De quel « excédent » est-il question ? Quels sont les chiffres de cette surpopulation dénoncée par ces auteurs et par d’autres ? Selon un rapport de l’Organisation des Nations unies (ONU) publié en juin 2017, la population mondiale est actuellement estimée à 7,6 milliards et devrait atteindre 8,6 milliards en 2030, 9,8 milliards en 2050 et 11,2 milliards en 2100. Actuellement, elle augmente de 83 millions d’habitants par an, soit l’équivalent de plus de sept fois la population belge.

Des chiffres impressionnants qui cachent pourtant le très fort ralentissement de cette dynamique d’accroissement. En effet, si le taux de croissance démographique a atteint un maximum de 2 % par an entre 1965 et 1970, il n’était plus que de 1,1 % en 2017. Un ralentissement qui suit logiquement la transition démographique, achevée en Europe et en Asie, et en cours en Afrique : le taux de fécondité au niveau mondial, de 4,5 enfants par femme en 1970, a chuté à 2,4 en 2018. Pour 2050, les projections donnent le chiffre de 0,37 % d’accroissement démographique. Le pic de population devrait ainsi être atteint vers 2060-2070, et la population mondiale se 
stabiliser à 10 ou 11 milliards d’habitants.

La planète est-elle surpeuplée ?

Une pression globale forte


Une population mondiale qui, certes, tend à se stabiliser, mais qui exerce néanmoins une pression globale forte sur la planète. Ainsi, depuis 1987, l’humanité consomme plus de ressources par an que la terre est capable d’en produire pour la même période. Chaque année, le « jour du dépassement », calculé par l'ONG américaine Global Footprint Network, est atteint plus tôt (le 1er août en 2018).

L’argument du manque de ressources disponibles semble donc pertinent : apparemment, seule une baisse de la population mondiale serait à même de relâcher la pression. Mais le raisonnement est biaisé : c’est en effet dans les pays à hauts revenus, où la population s’accroît le moins, que l’empreinte écologique (l’impact des activités humaines sur l’environnement) progresse le plus. Les résultats sont identiques si on considère la consommation d’eau, les captures de pêches ou les émissions de CO2 : plus un pays est développé, plus son taux de fécondité est bas, plus ses niveaux de pollution et de captation des ressources sont élevés.L’empreinte écologique est ainsi de 8,41 hag/hab (hectare global par habitants, unité de mesure de l'empreinte écologique) aux États-Unis, de 4,54 en Europe (6,71 en Belgique), de 3,51 en Chine et de 1,4 en Afrique. Corollaire : si tout le monde vivait à l’américaine, le jour du dépassement aurait lieu le 14 mars ; et le 2 avril si la planète entière adoptait le mode de vie des Belges.

La planète est-elle surpeuplée ?

Une question de mode de vie

La notion de surpopulation est donc toute relative. Pour beaucoup d’auteurs, le problème relève plus de modes de vie non adaptés que d’un problème démographique.

« En réalité, remarque Virginie Raisson (2016), la question du nombre des hommes masque celle – centrale et critique – du partage de la planète, c'est-à-dire de l’espace disponible et des ressources nécessaires pour répondre aux besoins de sa population. »

La géopolitologue explique : « La production agricole mondiale actuelle permettrait déjà de répondre aux besoins alimentaires de 11,5 milliards d’habitants. En revanche, que l’humanité entière opte pour le régime des Européens ou des Américains […], alors la production agricole actuelle ne suffirait pas à nourrir 4 milliards d’habitants. » Un point de vue repris par le démographe Hervé Le Bras qui constate (2016) que le problème n’est pas le manque de ressources,  mais le type de consommation, qui n’est actuellement pas soutenable : « La variable importante est donc le style de consommation ; il en va de même pour les questions de pollution ou de consommation d’énergie. Dire que la surpopulation est la cause de nos malheurs est donc faux. » Olivier De Schutter, défenseur de l’agroécologie et ancien rapporteur spécial des Nations unies pour le droit à l'alimentation, partage l’analyse. Partisan d’une nouvelle redistribution des richesses, il appelle à inventer de nouveaux rapports sociaux : « Sans revoir les modes de consommation des sociétés riches, nous n’éviterons pas une catastrophe à l’horizon 2080 », 
précise-t-il (2015).

Ainsi, s’il est inconcevable de penser pouvoir agir sur le nombre des hommes à court terme et d’envisager une réduction volontaire massive de la population mondiale dans les années à venir, il existe, pour ces auteurs, un domaine d’action réaliste : intervenir sur les modes de vie pour les rendre plus respectueux de l'environnement et plus économes en ressources. La vraie question, finalement, est moins celle du nombre que celle des futurs modèles économiques. 

Texte : Benoît Vignet  |  Photos : Michael Wolf/Reporters/Laif Texte : Benoît Vignet | Photos : Michael Wolf/Reporters/Laif

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