Éolien : tous les coups sont permis

Texte : Benjamin Legrain, Joelle Piraux et Jean-Yves Paquet | Photo de couverture : aerial-photos


La nécessaire sortie des énergies fossiles devra notamment passer par le renouvelable. L’éolien, qui fait partie des modes de production accessibles en Wallonie, ne présente cependant pas que des avantages. Son développement, surtout, est aujourd’hui totalement anarchique. Il est temps que les politiques arrêtent de faire l’autruche.


Natagora est en première ligne pour mesurer les impacts du réchauffement climatique : les périodes de migration changent, des espèces méditerranéennes s’installent durablement sur notre territoire, les forêts souffrent… Et à part quelques olibrius en mal de controverse, les scientifiques sont unanimes sur l’origine humaine de ce réchauffement. Il faut donc agir. Rapidement. La sortie du pétrole est inéluctable et les énergies renouvelables sont une piste d’action à côté d’indispensables réductions drastiques de notre consommation d’énergie.

Mais à côté de la crise climatique, une autre crise, qui lui est intimement liée, pèse sur notre environnement : celle de la biodiversité. Les études se succèdent et pointent une augmentation des taux d’extinction des espèces, un effondrement des populations d’insectes, un grignotage des milieux sensibles… Ici aussi il faut réagir, multiplier les actions de préservation qui ont fait leurs preuves.

Indissociables climat et biodiversité

Surtout, c’est essentiel, les luttes contre le réchauffement climatique et contre l’érosion de la biodiversité doivent être menées conjointement. Et c’est là où le bât blesse. Sans rentrer dans l’analyse de l’impact des différentes sources d’énergie non fossiles (nucléaire, hydro-électricité…) qui mériteraient chacune un dossier complet, il est bon de se pencher sur le cas particulier de l’éolien. Car actuellement, politiquement, territorialement, économiquement, socialement, c’est le chaos. La ruée vers l’or. Aucun gouvernement n’a encore eu le courage de légiférer sur le développement des parcs éoliens wallons (voir encadré) et les promoteurs se ruent dans les failles pour multiplier les projets hors de toute stratégie globale.

De nombreux projets éoliens émergent un peu partout sur le territoire. Le Plan air climat énergie wallon (PACE) 2030 prévoit d’atteindre une production d'électricité éolienne de 4 600 GWh/an à l’horizon 2030. Aujourd’hui, la production atteint 3 115 GWh/an. Si tous les projets soumis venaient à se réaliser, on atteindrait un total de 7 270 GWh/an. Tous ne verront bien sûr pas le jour, mais on a largement de quoi atteindre les objectifs 2030.

Or, si le faible impact carbone de l’éolien par rapport au pétrole ou au gaz est une donnée non négligeable dans l’analyse du remplacement des énergies, l’installation des parcs éoliens a un impact certain sur la biodiversité. Et il est du devoir de Natagora de pointer ces menaces et d’empêcher les dérives. Au-delà des questions paysagères, de bruit ou d’effets stroboscopiques, plusieurs points méritent une attention toute particulière en matière de protection de la biodiversité.

Les oiseaux des plaines menacés

Le maintien de la capacité d’accueil des grandes plaines agricoles pour l’avifaune est particulièrement important. Ce milieu est singulier car il abrite peu d’oiseaux mais quelques espèces très spécifiques (vanneaux, busards…), souvent en déclin chez nous, qui recherchent justement des espaces très ouverts et dépourvus d’éléments verticaux.

Les vanneaux huppés font partie de cette avifaune agricole désertant les plaines où s'installent les éoliennes. Photo : Rainham marshes / rspb-images.com

Le cas particulier du plateau hesbignon oriental est exemplatif d’une situation problématique. Ici, trois projets se sont succédés et profitent de l’absence de stratégie globale pour s’installer l’un à côté de l’autre. Les projets de Thisnes, Crehen et Villers-le-Peuplier formeraient ainsi à terme un seul et même ensemble de vingt-cinq éoliennes, auxquelles on peut encore ajouter les neuf éoliennes de Boneffe, avec des conséquences préjudiciables tant pour le cadre de vie des habitants que pour la biodiversité. Tout récemment, le pôle Environnement (assemblée consultative rassemblant, notamment, des organisations patronales, syndicales et environnementales) a ainsi rendu un avis défavorable sur les projets de Thisnes et Crehen. Il conditionne la poursuite d’un déploiement éolien dans ce territoire à la mise en place d’une stratégie et d’une planification territoriale, inexistante pour l’instant.

Le cas de Boneffe, quant à lui, illustre parfaitement les jeux de pouvoir en action lors des procédures d’implantation d’un parc éolien. Alors que l’endroit est particulièrement inapproprié en raison des menaces sur l’avifaune, Natagora, en partenariat avec des riverains, en est déjà à son cinquième recours devant le Conseil d’État ! Dès qu’un permis est annulé, sur base notamment de considérations environnementales, le ministre en charge de l’Aménagement du territoire en octroie un nouveau.

Un devoir de sauvegarde du milan

De l’autre côté du pays, en Haute Ardenne, les pales menacent d’autres oiseaux de grand intérêt patrimonial : les milans royaux. L’espèce est « à la limite d’être menacée » au niveau mondial selon l’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN). C’est aussi la seule espèce d’oiseau dont la Wallonie héberge plus de 1 % de la population globale. La région a donc la responsabilité d’assurer la pérennité voire le développement de ce noyau reproducteur. Or, l’espèce est particulièrement sensible au risque de surmortalité par collision avec les éoliennes (volant en cherchant ses proies au sol, elle peut se faire happer par une pale sans la voir arriver).

Le milan est une espèce à longue espérance de vie et faible natalité. La perte de chaque individu a donc un impact sur la population globale. Ainsi, une étude allemande a montré que dans la région du Brandebourg, la mortalité liée aux éoliennes s’élève à 3,1 % des individus par an. Cette mortalité supplémentaire est proche du niveau susceptible de déclencher un déclin de la population, estimé à 4 % : l’implantation supplémentaire d’éolienne peut rapidement y mener. Pour Natagora, une mesure minimale de précaution serait ainsi de ne pas installer d’éolienne à moins de 1,5 km d’un nid de milan, selon nos analyses préliminaires des déplacements des milans équipés de balise GPS.

Le milan est une espèce particulièrement sensible à la présence d'éoliennes proches des sites de nidification. Photo : David Denicolò

Un projet de six éoliennes, trois sur le territoire d’Amel, trois sur celui de Büllingen, est exemplatif du danger que peut faire courir l’implantation non concertée de parcs. Ce projet est situé en plein coeur de la population belge de milan royal. Natagora a donc introduit un recours devant le Conseil d’État pour annuler ce permis. Et c’est assez triste, car Natagora est ici en procédure notamment contre des collectifs citoyens qui tentent de faire leur part en terme de lutte contre le réchauffement climatique. Le manque de stratégie globale et de planification territoriale amène ainsi certaines parties de la société civile à s’opposer à d’autres.

Les chauves-souris particulièrement sensibles

Un autre groupe d’espèces volantes impacté par l’installation d’éoliennes est celui des chauves-souris. Une étude récente avance que le nombre de chauves-souris tuées par éolienne et par an est plus important que le nombre d’oiseaux, lorsqu’aucun plan de bridage des éoliennes n’est mis en oeuvre. Comme le milan, les chauves-souris ont un cycle de reproduction lent et le maintien des populations repose sur la survie longue des individus adultes. En Wallonie, la Montagne Saint-Pierre, est l’un des principaux centres d’hibernation pour des milliers de chauves-souris issues de toute l’Europe de l’Ouest. Natagora estime donc qu'aucun risque ne peut être pris, même minime, et demande de ne pas implanter d’éoliennes à moins de 10 km de la Montagne Saint-Pierre.

Une emprise au sol non négligeable

Au-delà de la nécessaire préservation d’un cortège d’espèces fragilisées par la présence d’éoliennes, il est important de prendre également en compte l’emprise des parcs éoliens sur le sol. Au-delà des quelques mètres carrés nécessaire à l’implantation d’un mât, il faut imaginer les zones de sécurité et le charroi généré par le montage, l’utilisation et l’entretien des infrastructures**. Or, en Wallonie, l’artificialisation des terres (urbanisation, bétonisation...) se fait principalement au détriment des terrains agricoles qui ont enregistré une perte de 547 km² entre 1985 et 2015 (soit -5,9 % en 30 ans).

Le montage des parcs peut avoir un impact certain, notamment en termes de compactage des sols. Photo : ae-photos

Mais, plus récentes et totalement inacceptables, sont les installations d’éoliennes en forêt. Car, oui, aujourd’hui, on grignote des forêts en Région wallonne pour installer des éoliennes ! Cette artificialisation a des impacts sur la forêt en tant que paysage et espace naturel : création de route et de zones techniques rompant la tranquillité et l’unité des massifs, installation permanente de grandes infrastructures affectant les paysages, compaction des sols forestiers, risque d’apport d’espèces invasives, mortalité directe de certaines espèces, perte d’habitats pour d’autres.

Sur quelle base les permis sont-ils alors octroyés ? Le Code du développement territorial (CoDT) autorise l'implantation des éoliennes en forêt si elles sont situées notamment dans un peuplement de résineux de faible intérêt biologique. Or, seules sont analysées les plantations en place, sans considérations pour le sol et les potentialités d’évolution de la forêt. Des forêts feuillues mixtes pourraient en effet être replantées sur les sols riches à la place d’épicéas (de toute façon condamnés par le réchauffement climatique et les scolytes), si l’idée était réellement de protéger l’environnement ou le climat. Mais, bien souvent, les épicéas ont été mal implantés, notamment en Ardenne sur des tourbières ou des landes tourbeuses drainées pour l’occasion… autant de milieux menacés au niveau européen et qui, restaurés, pourraient redevenir d’exceptionnels réservoirs de biodiversité et des puits de carbone.

L’heure du sursaut politique

Bref, ce qui pourrait ressembler ici à un réquisitoire contre les éoliennes n’est en fait qu’une objectivation de leurs impacts. Natagora ne s’oppose pas à l’éolien, loin de là. À l’heure actuelle, nous n’avons d’ailleurs intenté de procédure juridique que dans trois dossiers sur les trente-deux projets en recours comptabilisés au 31 décembre 2019. Par contre, nous réclamons ardemment un cadre de référence réglementaire. Au-delà des questions de biodiversité, la situation est aujourd’hui tout à fait chaotique. Chaque situation fait s’opposer, au cas par cas, spéculateurs (belges ou étrangers), coopératives citoyennes, voisins, communes et associations de protection de la biodiversité.

Pour minimiser les impacts sur la biodiversité, il est impératif de s’éloigner des sites sensibles. Et une planification à l’échelle régionale est indispensable pour prendre en compte les effets cumulés des projets. Mais dès qu’une tentative de cartographie positive voit le jour, des pressions énormes montent des pouvoirs locaux pour ne pas voir s’implanter des parcs sur les territoires qu’ils gèrent. D’autres communes, moins regardantes, empochent donc des sommes rondelettes pour l’implantation anarchique de parcs en mauvaise situation. Il est plus qu’urgent que le politique remette sur le métier la planification du développement éolien, comme commencé en 2013. C’est pour Natagora la seule façon de concilier l'atteinte des objectifs énergétiques et des objectifs biodiversité. Tant que cela ne sera pas fait, il ne sera plus possible, à qui que ce soit, de motiver adéquatement un projet éolien.

Nous avons un nouveau gouvernement depuis peu. Nous proposons de mettre à sa disposition notre longue expérience de la question et nos services pour l’aider à combler un manque criant et poser un acte politique fort et durable.


* La (non-) situation légale
L’implantation d’éoliennes est soumise à une série de règles inscrites dans le Code de développement territorial (CoDT) qui prévoit cependant également la possibilité de déroger à ces règles. Deux cadres de référence ont été élaborés en 2002 et 2013. Ils servent aujourd’hui de « lignes de conduite », allègrement outrepassées. En 2013 était également prévu l’établissement d’un décret éolien, resté dans les cartons. Pour Natagora, ces outils doivent être mis à jour et complétés par une planification au niveau régional. Un décret éolien doit voir le jour et inclure des critères d’implantation clairs qui apportent la sécurité juridique dont tous les acteurs ont besoin, tant les développeurs éoliens que les riverains. Il doit également comporter un outil de gestion du foncier qui mette fin au régime du premier arrivé, premier servi.
** Des solutions techniques ?
Lorsqu’un parc est installé, il faut éviter un maximum d’impact sur la faune. On peut ainsi augmenter l’attractivité des zones proches, et vérifier à diminuer l’attractivité du parc, notamment en jouant sur le couvert végétal. On peut également utiliser des moyens de dissuasion pour repousser les animaux ou intégrer des procédures de bridage des machines, en fonction des conditions météorologiques, de la saison ou de la proximité directe d’un oiseau ou d’une chauve-souris. Plusieurs technologies sont actuellement testées, basées sur des caméras, des caméras thermiques, des micros classiques ou infrasons (pour les chauves-souris) qui déclenchent des signaux d’effarouchement ou arrêtent les éoliennes. Mais aucune ne remplace actuellement la non-installation d’éoliennes en zone sensible.

 


Texte : Benjamin Legrain, Joelle Piraux et Jean-Yves Paquet
Photos : aerial-photos, Rainham marshes / rspb-images.com, David Denicolò, ae-photos.


 

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