Position de Natagora sur les introductions d’espèces indigènes

 

Des lâchers dans la nature d'espèces indigènes ont lieu de plus en plus fréquemment pour satisfaire des objectifs divers : réintroduction d'espèces animales emblématiques, déplacement de populations menacées visant la sauvegarde des espèces rares, lutte biologique, semis de prairies dans le cadre de mesures agri-environnementales, plantation de haies, végétalisation « naturelle » de friches industrielles (notamment carrières et terrils), fixation de berges et talus, parcs et jardins « sauvages », repeuplement pour chasse et pêche, sylviculture…

Malgré l’existence de textes légaux interdisant l’introduction dans la nature de « souches non indigènes » d’espèces indigènes ([1]), ces initiatives sont prises en ordre dispersé et leur impact à long terme sur la biodiversité n’est guère évalué : concurrence vis-à-vis d’autres espèces (présentes ou pouvant apparaître sur le site concerné), perte de caractéristiques génétiques locales, transport de maladies… Face à ce constat, l'asbl Natagora considère que ces introductions doivent être limitées dans leur ampleur et que des termes de référence doivent être établis spécifiquement pour chacun des secteurs cités ci-dessus et concernés par des opérations d’introduction d’espèces indigènes. Des comités scientifiques d'accompagnement à l'échelle régionale, nationale, voire internationale, devraient être mis en place, visant à limiter l'impact de ces opérations sur la conservation de la nature.

Natagora précise sa position pour les trois secteurs suivants.

Plantation de haies

L'utilisation de plants indigènes lors de la plantation de haies doit être encouragé par des incitants suffisamment attractifs et par des mesures contraignantes, dans le cadre de permis d'urbanisme ou de lotir par exemple. Le choix des espèces doit respecter le plus possible la flore locale.

Introduction de plantes herbacées indigènes

En ce qui concerne le semis ou la plantation de plantes indigènes à des fins de verdurisations diverses, le principe doit être de les limiter au minimum nécessaire (par exemple, pour la stabilisation d’un talus). Dans tous les cas, des listes d’espèces autorisées devraient être arrêtées, selon leur usage (mesures agri-environnementales, verdurisation de friches industrielles ou de bords de route, parcs et jardins).

Dans la ligne du document élaboré par la Commission suisse pour la conservation des plantes sauvages ([2]) et dans un souci de respect des caractéristiques génétiques locales, ces listes d’espèces seront modulées suivant diverses régions biogéographiques : les plantes susceptibles d’être introduites sont réparties en différentes classes selon que la provenance des graines ou des plants est limitée plus ou moins strictement à ces régions biogéographiques.

Réintroduction ou transfert d'espèces menacées

En ce qui concerne les réintroduction, renforcement et transfert de populations à des fins de conservation de la biodiversité, Natagora se fixe les termes de référence généraux suivants :

  1. Le moyen privilégié de lutte contre l'érosion de la biodiversité est la conservation et la restauration des milieux de la vie sauvage. Les opérations de réintroductions ou de transferts d'espèces, ainsi que de renforcement de populations, ne sont que des mesures palliatives, de succès incertain et non sans risque pour les écosystèmes. Elles ne sont envisageables que de façon exceptionnelle, pour contrer la disparition d'espèces fortement menacées, pour lesquelles les seules mesures de conservation et de restauration des habitats sont insuffisantes. De telles opérations ne doivent être effectuées que lorsqu'aucune solution alternative n'a pu être trouvée, notamment par la restauration d'un réseau de milieux permettant la recolonisation naturelle. Elles doivent nécessairement s'accompagner d'une gestion ou d'une restauration des milieux favorables à l'espèce.
  2. Ces opérations ne peuvent être faites pour leur seul impact médiatique, ni pour la seule satisfaction de revoir un animal ou une plante là où il (elle) a un jour existé. Pour qu’un projet de réintroduction ou de transfert de population soit mis en œuvre il faut que : 
    - l'opération ait un effet positif sur l'ensemble des écosystèmes influencés par la réintroduction, sans porter préjudice à d’autres espèces ou milieux existants dignes d’intérêt.
    - les conséquences de la réintroduction soient acceptables par les divers acteurs de la société concernés
    - le coût financier et humain de l'opération soit raisonnable en regard du bénéfice obtenu en terme de conservation de la nature. Une comparaison avec le coût d'autres types d'actions de conservation doit être faite.
  3. Il convient d’éviter que les opérations de réintroduction ou de transfert d'espèces ne détournent l'attention du public des moyens généraux et fondamentaux à mettre en œuvre pour conserver la nature : en effet, ces opérations pourraient faire croire que la nature se jardine, se cultive et se remplace à volonté. Lorsqu’elles ont lieu, elles doivent donc être clairement expliquées : raison d'être, avantages, contrôle des risques, rapport coût/bénéfice… La complexité des enjeux doit être perçue, afin d'éviter des initiatives analogues intempestives.
  4. Lorsqu'une réintroduction, un renforcement ou un transfert d'espèces est réalisé, l'opération doit avoir lieu dans le respect strict des législations existantes. Une procédure rigoureuse doit être mise en place, encadrée par un comité scientifique. Seront examinés : 
  • les possibilités d'alternatives au projet de réintroduction, renforcement ou transfert
  • les causes du déclin ou de la disparition de l'espèce
  • l'assurance du maintien à long terme de l'espèce, sans apport récurrent d'individus
  • les caractéristiques du site (habitats présents, gestion à long terme)
  • les caractéristiques génétiques des populations concernées
  • le respect des populations où auraient lieu les prélèvements servant à l'introduction
  • le suivi scientifique à long terme
  • l'acceptabilité socio-économique du projet (impact, coût pour la société)
  • l'information et la sensibilisation du public.

[1] Art.2, Section 5 du décret du Parlement wallon du 6/12/2001 (relatif à la conservation des sites Natura 2000 ainsi que de la faune et de la flore sauvages). Des dispositions analogues existent en Région flamande et dans quelques autres pays d’Europe.

[2] "Recommandations pour la production et l’utilisation de semences et de plants adaptés, avec des listes d’espèces, pour l’aménagement de surfaces de compensation écologique et pour la végétalisation d’autres habitats (2001)". Ce document distingue 4 régions, 11 sous-régions et 3 niveaux altitudinaux, qui doivent être respectés plus ou moins strictement selon les espèces utilisées.