La philosophie du projet #Reconnect

L’agriculture est une superbe opportunité d’offrir de l’espace à la biodiversité. Étonnant à entendre dans un discours naturaliste ? Pas du tout. Les relations entre agriculteurs et naturalistes sont biaisées de longue date et il est temps de retrouver entre nous une collaboration sereine et bienveillante. Natagora s’y attelle.

Les agriculteurs aiment la terre. Ils en vivent. Depuis la sédentarisation de l’homme, les agriculteurs ont commencé par vivre de leurs produits avant de partager leurs surplus. Et ils ont toujours préféré consommer des produits cultivés ou élevés dans un environnement sain. La plupart des agriculteurs aiment voir de la vie sur leurs terres. Aucun ne prend plaisir à épandre de lourdes couches de produits chimiques biocides sur les terres que possèdent parfois leurs familles depuis des générations.

De leur côté, les naturalistes, comme tous les êtres humains, se nourrissent de légumes, de céréales, et parfois de viande. Et ils sont reconnaissants envers les agriculteurs qui les ont produits. Ils aiment, quand ils en ont l’occasion, parcourir les parcelles en compagnie d’un maraîcher ou profiter des explications du cultivateur. Ils se ravissent de l’avifaune des paysages bocagers ou des orchidées rares d’une prairie préservée.

L’agriculture pose problème, pas l’agriculteur

Qu’est-ce qui cloche, alors ? L’agriculture, pas les agriculteurs. Le système agricole tel qu’il a été mis en place. Ce système qui a criblé de dettes la plupart des exploitants et les a privés de toute liberté d’action. Ce système qui a conduit à l’arrachage de plus de 50 % des haies dans toute la Wallonie depuis 1950. Ce système qui pousse la Belgique à utiliser plus de 80 % de sa production céréalière en agrocarburants ou nourriture pour le bétail des fermes industrielles.

À force de voir la biodiversité sacrifiée sur l’autel du productivisme, le naturaliste oublie le système et s’en prend à sa principale victime : l’agriculteur. Et l’agriculteur, autrefois fier de nourrir ses semblables, aujourd’hui pris en otage par l’agrobusiness, est accusé de tous les maux. Il se met à détester ces nouvelles obligations environnementales qui rajoutent une couche d’obligations à celles imposées par les semenciers, les supermarchés et les politiques libérales.

Des alternatives à soutenir

Et pourtant, ils sont nombreux ces paysans qui se battent contre les entraves et veulent retrouver la fierté de leur métier. Et qui, face au nécessaire redéploiement de la biodiversité, mettent en place des alternatives, tendent à revenir à l’autonomie fourragère, à limiter les intrants chimiques, à recomposer les éléments paysager. Le naturaliste, comme le grand public, doit soutenir ces agriculteurs et, à leurs côtés, combattre farouchement un système agricole dévastateur et périmé.

Les mesures agro-environnementales et climatiques (MAEC), majoritairement financées par la politique agricole commune de l’Union européenne, ont commencé à être mises en place en 1995. Actuellement, plus d’un agriculteur sur deux adhère au programme. Mais comment reconnaître les efforts qui sont faits, comment décrypter dans le paysage ces mesures créées par des experts agricoles ? En Wallonie, ces méthodes ont été regroupées en cinq axes.

Décrypter les paysages agricoles

Les "éléments du maillage écologique" se centrent sur les aspects paysagers et leur impact sur la biodiversité. Les haies et alignements d’arbres structurent les paysages ruraux, limitent l’érosion et constituent des abris de choix pour une riche avifaune, le petit gibier ou encore des territoires de chasse pour les chauves-souris, tout en protégeant le bétail. Les arbres isolés et fruitiers sont un refuge idéal pour de nombreux oiseaux prédateurs insectivores, notamment. Les mares attirent de nombreux batraciens et libellules, en abreuvant le bétail.

Les "prairies", lorsqu’elles sont permanentes, peuvent être un refuge exceptionnel de biodiversité et un puits de carbone de première importance. Ces milieux ouverts sont d’ailleurs prioritaires dans les actions de Natagora. Lorsqu’elles ne sont pas engraissées à l’excès, ni soumises à un régime de fauche intensif, elles attirent une multitude de plantes et d’insectes. Les prairies dites naturelles, inondables ou de haute valeur biologique permettent aux agriculteurs de bénéficier de subventions tout en préservant leur patrimoine agro-écologique.

Les "cultures" peuvent également offrir de nombreux refuges à une faune et une flore variées. On le sait, l’avifaune des milieux agricoles se porte particulièrement mal (65 % des espèces sont en déclin !). De nombreux producteurs, même en grandes cultures, mettent cependant en place des mesures subventionnées : tournières enherbées, cultures favorables à l’environnement (légumineuses, céréales sur pied…), ou différents types de bandes aménagées, souvent bien visibles dans le paysage. Des espèces comme le bruant proyer ou la perdrix grise, fort menacées, y trouvent un refuge de choix.

Certains agriculteurs s’engagent encore plus loin, avec des "approches globales au niveau de l’exploitation", en s’engageant soit à l’autonomie fourragère (qui exclut donc l’importation de produits comme le soja américain et oblige à réduire la charge en bétail sur la ferme) soit à un plan d’action agro-environnemental qui multiplie les actions sur l’exploitation. Enfin, les éleveurs peuvent également veiller à sauvegarder la biodiversité agricole grâce à l’axe "animaux", en s’attelant à préserver des races locales menacées. De nombreuses réserves Natagora sont ainsi gérées grâce à ces animaux rustiques.

#Reconnect : au boulot !

On le voit, non seulement des solutions existent, mais elles commencent à être mises en place sur le territoire wallon. Ne nous voilons cependant pas la face : de nombreux agriculteurs n’ont pas encore fait le pas, et le faible taux de pénétration de ces mesures est encore loin de résoudre la chute de biodiversité agricole.

Natagora a donc décidé, dans les mois qui viennent, de lancer le projet #Reconnect. En collaboration avec Natuurpunt et avec le soutien de la Direction générale de l'agriculture de la Commission européenne, nous voulons offrir aux naturalistes un autre regard sur le métier d’agriculteur. Nous allons ainsi organiser deux journées d’échanges entre experts naturalistes et exploitants, en Famenne et dans la plaine de Perwez. Ensuite, nous consacrerons notre traditionnelle Aube des oiseaux (1er mai) aux milieux agricoles. Nous allons exporter notre concours "Qu’elle est belle ma prairie" en Flandres, et porter ce message de reconnexion à la Foire de Libramont.

Enfin, nous susciterons des rencontres entre agriculteurs et naturaliste, qui mèneront à la publication de portraits croisés, dans notre magazine Natagora et en capsules vidéo. Nous pensons qu’aujourd’hui, plus que jamais, agriculture et nature doivent redevenir deux concepts non plus complémentaires mais réellement indissociables. La sauvegarde de la biodiversité offre de nouveaux débouchés aux agriculteurs. Et une agriculture respectueuse offre à la biodiversité de nouveaux espaces pour se redéployer.

Une action cofinancée par la Commission européenne :